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CONSEILS N°1 (AUX CENTAURES)

Dernière mise à jour : 6 mars 2023

CONSEIL N°1


« Au coeur même de la pensée du savant ou de l’artiste le plus absorbé dans sa recherche, et qui semble le plus retranché dans sa sphère propre, en tête à tête avec ce qu’il est de plus soi et de plus impersonnel, existe je ne sais quel pressentiment des réactions extérieures que provoquera l’oeuvre en formation : l’homme est difficilement seul.

Cette action de présence doit toujours se supposer sans crainte d'erreur ; mais elle se compose si subtilement avec les autres facteurs de l'ouvrage, parfois elle se déguise si bien, qu'il est presque impossible de l'isoler. Nous savons toutefois que le vrai sens de tel choix ou de tel effort d'un créateur est souvent hors de la création elle-même, et résulte d'un souci plus ou moins conscient de l'effet qui sera produit et de ses conséquence pour le producteur. Ainsi, pendant son travail, l'esprit se porte et se reporte incessamment du Même à l'Autre ; et modifie ce que produit son être le plus intérieur, par cette sensation particulière du jugement des tiers. Et donc, dans nos réflexions sur une oeuvre, nous pouvons prendre l'une ou l'autre de ces attitudes qui s'excluent.

Si nous entendons procéder avec autant de rigueur qu'une telle matière en admet, nous devons nous astreindre à séparer soigneusement notre recherche de la génération d'une oeuvre, de notre étude de la production de sa valeur, c'est-à-dire des effets qu'elle peut engendrer ici ou là dans telle ou telle tête, à telle ou telle époque.»


PAUL VALÉRY, COURS DE POÉTIQUE, VOL1, NRF GALLIMARD.



 

Au-delà du fait de vous inviter (vivement) à lire Paul Valéry, voilà ici un exemple intéressant de ce dont nous parlions lors de notre évocation de la Praxis : Le censeur intérieur. Nous le voyons ici sous sa forme la plus subtile et "dangereuse" pourrai-je dire.


Nous l'avions déjà vu avec le Printemps de Poussin et cette Autorité qui regarde ailleurs.

Nous allons voir ici une autorité bien plus maligne qu'il n'y parait et moins blagueuse que ne le montre Poussin.


Ce censeur est ce "pressentiment" dit Valery, qui "pressent" donc, les réactions extérieures de l'œuvre en cours de travail. Et ce pressentiment se déguise si bien qu'on peut le voir apparaître dans bien des actions qui nous conduisent dans le façonnement de notre œuvre : "il est presque impossible de l'isoler".


Lorsque nous examinons notre œuvre en cours, nous pouvons adopter deux attitudes différentes. Nous pouvons soit nous concentrer sur la génération de l'œuvre elle-même (nos choix dans l'écriture, nos choix dans nos actions de peindre ceci ou cela, ou de sculpter…), soit nous concentrer sur les effets produits par cette œuvre sur les spectateurs/auditeurs/lecteurs, le temps et l'espace. Si nous souhaitons approcher cette matière (la matière en création) avec autant de rigueur que possible, nous devons faire en sorte de séparer soigneusement notre étude de la génération de l'œuvre de notre étude de sa valeur.


Car c'est bien de cela dont il s'agit : évaluer la valeur de l'œuvre en cours, ici et maintenant, c'est-à-dire dans notre temps, dans notre société, et sous le regard de nos pairs. Même lorsque nous travaillons dans la solitude, nous sommes influencés par le monde extérieur et les œuvres d'art sont enracinées dans leurs contextes historiques, sociaux et culturels.


Que faire de cela ? C'est la question que l'on se pose.


Nous pouvons quand même dire que cet entrelacement entre le dehors et le dedans est nocif, selon moi, pour l'œuvre "en soi", mais il existe de fait, puisque nous sommes, nous, ici et maintenant, des personnes d'une époque et d'une société données. Nous ne pourrons pas lutter contre cette influence : nous sommes, bien malgré nous, des êtres d'une époque donnée, avec les influences et la culture de cette même époque.


En revanche, nous devons maîtriser l'équilibre (entre le dehors et le dedans) car l'intrusion excessive de cet "extérieur" nous ferait créer ce que cet "extérieur" attend. Et l'extérieur, notre monde, dans son économie actuelle, attend le "Même". Le connu. Parce que le connu est rassurant, le connu est éprouvé.


L'artiste, pourtant, lui, n'est pas forcément là pour rassurer. Il crée, et quand on dit qu'il crée, on dit bien par là inventer quelque chose qui n'était pas là avant. Donc : un Autre.


Cet Autre pour le monde peut être dérangeant. Et nous pouvons ressentir, à l'intérieur même de notre processus de création, qu'il est possible de déranger et donc de ne pas plaire. Nous pouvons chercher cet effet ou ne pas le chercher, peu importe, cette question - toujours selon moi - ne devrait pas être une question qui occupe le processus en cours. Le processus en cours a ses autres préoccupations, et elles sont déjà bien suffisantes !


Que pouvons-nous nous dire alors ? Peut-être que nous pouvons nous faire confiance, sans nous préoccuper de l'extérieur, puisque nous sommes, de fait, déjà les produits, déjà influencés (si je puis dire) de ce monde extérieur ?


Nous ne captons que ce que nous pouvons capter, et donc notre attention aux jugements potentiels et pressentis des tiers ne nous est pas très utile, cela ne nous apporte rien de plus.


Il sera temps, à des étapes ultérieures du travail, de faire appel à des tiers choisis et initiés. Nous devrons les contacter directement, sans projeter nos propres imaginations sur ce qu'ils ou elles pourraient penser, pour nous aider à orienter notre œuvre vers ce que nous voulons profondément.


Cette étape de travail sera le moment où les dramaturges, les conseillers de confiance, etc. nous aideront et nous accompagneront dans la réalisation de ce que nous désirons vraiment, en respectant notre intérieur si fragile et déjà soumis aux forces puissantes du monde, avec le respect nécessaire et suffisant, et en prenant les précautions prudentes pour ne pas le violenter.


Je vous encourage à explorer ces réflexions profondes de Paul Valéry dans votre propre travail en tant que Centaures.

 

D'autres conseils aux centaures ?

  • Oui, merci !

  • Non, merci bien !



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