La forêt ne s’étonne plus.
La forêt ne s’étonne plus du pendu.
Elle l’attend arriver.
Elle l’entend arriver, craquement aux pieds.
Elle ressent ses mains.
Elle entend ses mains caresser l’écorce.
Elle est immense.
Elle sera immense comme le tombeau du monde.
Elle accueille les corps.
Elle recueille les corps vivants et morts.
Elle ne trompe personne.
Elle ne trempe personne dans la honte des hommes.
Elle s’émeut des sifflements derniers.
Elle se meut dans les larmes des damnés.
Elle s’efforce de sourire au vent.
Elle s’affole de l’obscurité d’avant.
Elle compte les pommes de pin.
Elle conte les histoires en vain.
Elle veut faire résonner les rimes.
Elle vaut toute la force des hymnes.
Elle ose vouloir vous ôter une épine du pied.
Elle jauge le rose aux joues épiées.
Elle s’aveugle de trop de noir.
Elle beugle le silence des mots d’ivoire.
Elle apprend à parler.
Elle s’éprend de la langue de ceux qui viennent la visiter.
Elle le regarde depuis la cime.
Elle est hagarde de le voir se balancer dans l’abîme.
Elle s’endort à la lumière du jour.
Elle adore les rayons qui éclairent toujours.
Elle s’agite pour rester verte.
Elle habite le monde pour le rendre alerte.
Elle ne se presse jamais et hier,
Elle s’oppresse de ne plus être entière.
La forêt regarde en face d’elle.
La forêt prend garde de laisser de la place aux ailes.
La forêt prend conscience de la beauté des cailloux. Ceux du nord et ceux du sud. Elle aimerait accueillir des fleurs aussi, dans lesquelles habiterait la vie. Les yeux qui me regardent bégaient, ils se moquent du vide. A-t-on besoin de vide pour parler ? Peut-être guetter la larme ? La dernière. Existera-t-il une toute dernière larme ? Restera-t-elle accrochée aux cils ? Je la recueillerais pour la déposer dans une fiole. Elle serait un miroir à la fin du monde. Certains parlent pour mieux disparaître. Prendre une place et puis la quitter. Laisser une tombe, sans trou, à ciel ouvert. Pouvoir ouvrir les bras à la mort, bouche ouverte pour l’après, bouche ouverte sur l’abîme. S’échouer sur le sable de l’inconnu, ouvrir les lèvres pour boire l’écume des mystères. Cicatriser le ciel. Oui. C’est si beau. Je reviendrai des morts pour le tenter. Aujourd’hui et demain, jamais pareil. Être poli, être poli comme un enfant, comme un galet. Être sous le bleu, être sur le sol. Lequel est-il le meilleur reflet ? Lequel est-il le plus généreux ? Être nerveux, être heureux, du labyrinthe être victorieux.
La forêt elle aussi regarde par la fenêtre. Elle s’étonne de cette autre vision, comme d’une découverte. Avoir une bouche, un corps, des yeux, des mots, des mots, des mots qui coulent du haut de la falaise. Le genou de la nuit est au sol, il y restera l’éternité entière s’il le faut. La douleur enfin parlera. La douleur ne sera plus l’autre mot du silence.
Anne, centaure strasbourgeois, le 29 janvier 2023
Il y a plein de trouvailles dans ton texte. Et la chute est bien : la douleur ne sera plus l’autre mot du silence.