Goûte l'eau.
Sur tes épaules,
les cascades te boivent et t'aspirent
— petite langue bleue, corps d'anguille,
tu te frottes contre l'aisselle
humide des cailloux.
Ta bouche se faufile
entre les parois liquides d'une vasque sans fond.
Tu fuses dans la forêt d'algues
immensément triste.
Laisse glisser sur toi
les bras souples des anémones sans visage.
— L'abime ne te mangera pas.
A l'intérieur de toi, un ange défait le ventre des scolopendres.
Tourne et attrape les cordages qui effiloche le vertige
des profondeurs versatiles.
Pourquoi ne suivrais-tu pas ici la promesse d'un retour ?
Le voyage est fini
— pas encore.
Quelque part dans le tréfonds de tes mères,
quelques rouilles rougeoient sur les sables.
Pourquoi voudrais-tu que l'horizon cicatrise ?
Le pire des envoûtements.
Sous tes pieds, le sol glougloute et se tait
dans le découlement
d'une fontaine tarie.
Sinon l'espoir, quoi d'autre ?
Cherche ta fin encore
sans crainte de disparaître.
Cherche encore à délier la calligraphie des brûlures
lorsqu'un mot te saisit
que tu ne comprends pas
mais qui vient te couler dans les bras
d'un abandon d'être
plus grand que ton ombre sur les murs du temple.
Pourquoi te résoudrais-tu à n'avoir qu'un corps ni même qu'une vie ?
Assise sur les genoux de la nuit,
tu attends que l'espace s'ouvre entre deux paupières de néant.
Cales ton corps à la rythmique lente des arcanes creuses.
Qui rencontreras-tu encore dans le cœur des labyrinthes ?
La forêt d'algues soulève le règne des cascades
qui boivent et aspirent tes épaules.
Tu respires l'air depuis tes poumons neufs.
Ton corps nourri du sang des abimes
épouse la rondeur blonde des roches tranquilles.
Tu pourrais rester là
infiniment,
ta bouche collée à la morphologie des seins de calcaire
mais non —
tu es d'une nouvelle nature faite de soleil et de vent.
Tu es la remontée de la sève
tu es le regard vers le ciel
tu es le fil vertical d'un rayon de la pluie
tu es le retour des blés au soleil.
L'oiseau qui vole à la cime des cécités
inverse la direction de tes paupières.
Que vienne la nudité des étoiles sous l'ample rouge d'une robe d'amour
pour que l'ange mue,
s'approche et te devienne.
J’ai aimé ton texte à ta première lecture. J’étais d’ailleurs sidérée de tant de choses se passant en si peu de mots. On se contorsionne avec souplesse dans les reliefs et les espaces, les virages et les couleurs. Bravo, c’est selon moi à relire plusieurs fois, parce que délectable.
Pour moi le texte se révèle particulièrement à voix haute. On pourrait même dire qu’il se réveille.
"Tu respires l'air depuis tes poumons neufs.
Ton corps nourri du sang des abimes
épouse la rondeur blonde des roches tranquilles.
Tu pourrais rester là
infiniment,
ta bouche collée à la morphologie des seins de calcaire"
Ce passage est magnifique. Merci.